vendredi 25 août 2017

Trahisons

Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
Tel : 01 45 44 57 34
Métro : Vavin / Notre-Dame des Champs

Une pièce d’Harold Pinter
Mise en scène par Christophe Gand
Scénographie de Goury
Décor de Claire Vaysse
Costumes de Jean-Daniel Villermoz
Lumières d’Alexandre Icovic

Avec Gaëlle Billaut-Danno (Emma), François Feroleto (Robert), Yannick Laurent (Jerry), Vincent Arfa (le « déménageur », le serveur)

L’histoire : Jerry et Emma se retrouvent deux ans après leur rupture. Elle est la femme de Robert, éditeur, vieil ami et, plus que tout, partenaire de squash de Jerry. A partir de là, on remonte le cours de cette intrigue amoureuse entre trois amis. Dans cette histoire à rebours, Pinter tisse les énigmatiques liens amoureux et amicaux du trio où chacun construit sa propre vérité : des séparations aux rencontres, des aveux aux mensonges, des secrets aux trahisons.

Mon avis : Le sujet de Trahisons, il faut le savoir, a été directement inspiré à Harold Pinter par sa propre vie. En fait, il y évoque en filigrane la longue liaison qu’il a entretenue avec une célèbre présentatrice de la télévision britannique… Sur le plan de l’adultère, il sait donc de quoi il parle.
L’originalité de cette pièce, c’est sa chronologie inversée. Elle débute en 1977 pour nous faire remonter le temps jusqu’à 1968. Habituellement, on suit une intrigue amoureuse depuis sa naissance jusqu’à son terme, ici c’est le contraire. Pinter s’empare d’une peau de chagrin et s’évertue à la reconstituer pour lui redonner tout son éclat. En fait, il retricote. C’est cette mécanique à rebours qui retient tout notre intérêt. Notre esprit, comme sous perfusion, reçoit régulièrement les informations au compte-gouttes. Chaque tableau est un élément qui nous permet de recomposer ce puzzle de neuf pièces.


Trahisons n’est pas pour moi une des meilleures pièces de Pinter. Justement, peut-être, parce qu’il est concerné au premier degré. Elle manque un peu de souffle, de cette forme de recul et de détachement qui autorise le cynisme (même s’il l’effleure parfois avec le personnage de Robert). Si bien que les dialogues en souffrent. Les banalités et les lieux communs abondent volontairement (par exemple, les protagonistes prennent régulièrement des nouvelles des enfants de l’autre couple). Personnellement, si j’ai trouvé parfaitement idoine et réjouissant l’échange de banalités lors des retrouvailles d’Emma et Jerry (premier tableau), j’ai déploré que l’auteur en use et en abuse par la suite. Il en résulte une espèce d’atonalité qui, à force, devient lassante.


Pourtant, en dépit de ce manque de percussion des dialogues, on parvient à s’intéresser à l’intrigue grâce au jeu des comédiens. Finalement, ce sont leurs interprétations qui nous séduisent et non la partition trop monocorde que Pinter a composée. Tout le mérite leur revient. Ils sont excellents tous les trois.
Outre la prestation irréprochable des acteurs, plusieurs éléments importants viennent au secours de la pièce. Il y a d’abord son profil sociologique. Les trois personnages évoluent dans des milieux privilégiés, érudits et dynamiques. L’édition pour Robert et Jerry, une galerie de peinture pour Emma. La vie est facile, l’argent ne pose pas problème, on voyage et… on boit beaucoup. Et puis, il y a son époque. Le fait que l’action se déroule entre 1968 et 1977 n’est pas anodin. Ce sont des années qui, pour les femmes, ont été extrêmement fondatrices. En travaillant, Emma n’est pas tributaire économiquement de son mari. Et avec la révolution sexuelle toute récente, elle y a gagné son indépendance et sa liberté de choix. Ceci est essentiel pour comprendre le comportement de la jeune femme.
Enfin, autre point positif de ce spectacle, les enchaînements. Les changements de décors sont effectués à vue dans une sorte de chorégraphie orchestrée par le son d’un piano, de violons, d’une trompette ou d’une contrebasse. C’est très agréable tant sur le plan visuel qu’acoustique.


Revenons aux comédiens. Yannick Laurent fait de Jerry un individu complexe. Le seul courage dont il a fait preuve, c’est celui de draguer l’épouse de son meilleur ami. Il s’inscrit ensuite dans une ligne masculine plus générale en se montrant émotif, faible, pusillanime, craintif même. Il ne pense qu’à l’aspect plaisir de cette relation extra-conjugale. Mais lorsqu’il faut prendre ses responsabilités, il n’y a plus personne… François Feroleto crée un personnage aux antipodes de celui de Jerry. Il dégage une force tranquille, affiche un flegme tout britannique ; manipulateur, mufle assumé, ce n’est pas un sentimental. Un tantinet désabusé, rien ne semble l’affecter… Enfin, Gaëlle Billaut-Danno donne à Emma toute sa frémissante féminité. Emma vit sa vie comme elle l’entend. Elle se montre tout aussi passionnée que raisonnée. Lucide et directe, elle n’entend pas se laisser imposer quoi que ce soit par ses mari et amant. Elle tient à garder son libre arbitre. Un rôle subtil car il lui faut se montrer tout autant sensuelle et désirable que prudente et réfléchie.

Gilbert « Critikator » Jouin

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