jeudi 2 février 2017

Piège mortel

Théâtre La Bruyère
5, rue La Bruyère
75009 Paris
Tel : 01 48 74 76 99
Métro : Saint-Georges / Pigalle

Une pièce de Ira Levin
Adaptée par Gérald Sibleyras
Mise en scène par Eric Métayer
Lumières de Gaëlle de Malglaive
Décor d’Olivier Hébert
Son de Vincent Lustaud
Costumes de Cécile Adam

Avec Nicolas Briançon (Sidney), Cyril Garnier (Clifford), Virginie Lemoine (Myra), Marie Vincent (Helga), Damien Gadja (Pierre)

L’histoire : Sidney Brown est un auteur dramatique qui a connu son heure de gloire, mais son étoile est aujourd’hui ternie. Il est en panne d’inspiration. Il a reçu la pièce d’un de ses admirateurs, Piège mortel. Le jeune auteur voudrait avoir l’avis du « maître » qui est le premier à lire la pièce. Sidney, rongé par l’aigreur et le cynisme, tient par-dessus tout à relancer sa carrière. Il envisage même de tuer le jeune homme pour lui voler son œuvre. Le jeune auteur est convoqué pour travailler sur la pièce. Myra, la femme de Sidney, a peur. Son mari serait-il vraiment capable de commettre un meurtre ? La réponse est oui… Mais qui choisira-t-il comme victimes ?

Mon avis : Grand amateur de polars, j’ai pris énormément de plaisir avec l’intrigue démoniaque de ce Piège mortel. Cette pièce est digne du grand maître du suspense, Alfred Hitchcock. Par moment j’y ai retrouvé l’ambiance de ce remarquable film qu’est La corde. Son traitement, d’ailleurs, est très cinématographique.

La scène du théâtre La Bruyère n’étant cette fois pas dissimulée par un rideau, on a tout loisir d’observer le décor. Un décor qui, on s’en apercevra, a un rôle à jouer. Notre attention est tout de suite attirée par le mur en briques de ce cottage cossu car il est tapissé d’une quantité d’armes pour la plupart anciennes. On y distingue entre autres une hallebarde, un chat à neuf queues, un fléau d’armes, une arbalète, une hache, une dague, une masse, un fusil, différents révolvers, un garrot, un poing américain… Tout un arsenal symbolisant la violence, le combat. Bref, cette collection d’objets uniquement destinés à estourbir et, surtout, à trucider son prochain ne manque pas de nous fasciner et de nous inquiéter.


Le propriétaire de ces charmants bibelots est Sidney Brown, un célèbre dramaturge spécialisé dans le polar. Quand débute la pièce, il n’est pas dans son meilleur état. Ça fait dix-huit ans qu’il n’a plus connu le succès, niveau inspiration, il est en panne sèche, et niveau finances, il est grave dans la dèche… Ce n’est donc pas le garçon le plus jovial du monde. Il a pourtant la chance d’avoir à ses côté Myra, une femme aimante et accommodante. En dépit de ce soutien affectif inaltérable, Sidney est grognon. Il se montre aigri, odieux, cynique, et se vante même d’être quelqu’un de particulièrement « vicieux ». Or, il a peut-être une opportunité de se sortir de ce marasme : il vient de recevoir par la poste le manuscrit d’une pièce intitulée « Piège mortel » dont il est convaincu qu’elle ferait un tabac. Et, comme il est totalement dénué de scrupules, il commence à fomenter un plan machiavélique pour s’approprier cette œuvre. Il a même l’impudence de faire partager son funeste projet à son épouse…

Voilà, la décision est prise. Sidney va s’installer dans le wagonnet du train fantôme qu’il a lui-même construit et se lancer sans aucune retenue sur les rails du crime. Va-t-il réussir à contrôler sa trajectoire ? Le train va-t-il s’emballer ? Des embûches vont-elles se dresser sur son parcours infernal ?
Vous ne le saurez qu’en restant jusqu’au bout scotché dans votre fauteuil à vous demander comment cette sombre histoire va se terminer.


On ne peut rien raconter de cette pièce totalement amorale et délicieusement angoissante tant les rebondissements, les surprises et les nombreuses péripéties viennent en permanence brouiller le scénario que l’on essaie d’imaginer. Piège mortel pourrait s’écrire au pluriel. On est embarqué dans un thriller haletant dans lequel tout nous échappe. Alors on laisse tomber toute tentative d’élucidation pour ne s’abandonner qu’au plaisir de se laisser mener par le bout du nez. Tant de machiavélisme, ça en devient jouissif, jubilatoire.

Les comédiens sont formidables car ils jouent leurs personnages avec un réalisme impressionnant. Nicolas Briançon est absolument brillant dans ce rôle où il jongle avec toutes les facettes de la turpitude humaine. Il est tour à tour arrogant, charmeur, trivial, sournois, simulateur. Il faut le voir affecter le chagrin, c’est un grand moment de comédie, tout en nuances et en subtilités… Cyril Garnier, que l’on découvre dans un registre plus dramatique, lui donne une réplique parfaite. Lui aussi excelle dans le double, voire le triple jeu. L’opposition de leurs registres apporte énormément de relief à la pièce… Virginie Lemoine est touchante de fragilité. Elle est la seule personne d’« aimable » dans cette distribution… Quant à Marie Vincent, elle apporte au rôle d’Helga une forme de folie propice à nous libérer un peu de la tension qui nous étreint.


Pourtant, son personnage est mon seul petit bémol. J’estime – mais cela n’engage que moi – qu’Helga devrait parfois se comporter avec un peu moins extravagante, surtout vers la fin. Si elle était moins délirante, elle se montrerait encore plus menaçante, plus inquiétante… C’est là mon seul hiatus par rapport à une mise en scène réellement réussie car, comme je l’ai signalé plus haut, nous sommes dans un film ; un film avec cascades, effets spéciaux, bande son, ruptures de rythme… Le montage est impeccable.
Sincèrement, Piège mortel mérite un grand succès populaire. J’ose le néologisme de « bi-polar » tant on est happé par cet étourdissant jeu de dupes dont nous sommes nous aussi les victimes. Des victimes consentantes, certes, car on aime frissonner, avoir peur, être angoissé et surpris. Allez-y vite, vous aussi vous serez mortellement piégés par cette histoire conçue par un cerveau particulièrement tordu…

Gilbert « Critikator » Jouin

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