jeudi 23 février 2017

C'est Noël tant pis

Comédie des Champs Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau / Franklin-Roosevelt

Texte, mise en scène et chansons de Pierre Notte
Costumes de Colombe Lauriot-Prévost
Lumières d’Aron Olah
Scénographie de Natacha Le Guen de Kerneizon

Avec Bernard Alane (le père), Romain Apelbaum (Nathan), Brice Hillairet (Tonio), Sylvie Laguna ou Marie-Christine Orry (la mère), Chloé Olivères ou Juliette Coulon (Geneviève)

L’histoire : Farce féroce autour de Noël : la famille explose en vol, le tout fait des étincelles. Pierre Notte s’empare de notre rite judéo-chrétien préféré. Et c’est un carnage.
Les guirlandes débloquent, les plombs sautent, la grand-mère disparaît. On attend Noël, on espère la paix sur la terre et l’accalmie en famille. Rien de vient. Le père installe les boules du sapin et refuse la faveur sexuelle que la mère lui offre. Ça commence mal ; ça ne finira pas mieux…

Mon avis : Ouille, ouille, ouille… Quelle pièce ! Quels dialogues ! Quelles prestations d’acteurs !
C’est Noël tant pis… Dans ce titre, tous les mots sont importants. « Noël », d’abord. C’est la fête familiale par excellence, le jour où les hommes de bonne volonté sont censés faire la paix (du moins selon saint Luc). Or, là, nous serions plutôt dans l’évangile d’André Gide : familles, je vous hais ! C’est dans cet esprit qu’intervient le fameux « tant pis ». En effet, là où les ressentiments devraient faire une pause au profit des beaux sentiments tels que l’amour filial et l’amour dans le couple, c’est tout le contraire qui se produit. On apporte les cadeaux et les victuailles, mais ils sont empoisonnés. On devrait se dire des mots doux, mais on choisit les invectives. Ce devrait être une belle fête de famille, mais ça prend le chemin d’une défaite de famille… Alors, tant pis. Ce sera mieux la prochaine fois.


Le ton est donné dès le début. Le père qui tente maladroitement de décorer le sapin se fait encore plus enguirlander que le conifère. Devant son refus de succomber à une petite gratification sexuelle, la mère, un tantinet humiliée, ouvre grand les vannes de la récrimination et des reproches. Le ton est acerbe, les mots sont trempés dans du vitriol… Ce sont donc un père indécis, bougon et lunaire et une mère acariâtre et querelleuse que découvrent à leur arrivée les deux garçons du couple, Nathan et Tonio ainsi que l’épouse de ce dernier, Geneviève, surnommée aimablement « la pièce rapportée ». La simple scène de ménage du début se métamorphose en empoignade collective. Rien ni personne n’est épargné. L’expression « laver son linge sale en famille » prend ici tous son sens et tout son sel. Ou plutôt son poivre tant les propos sont violents.

En plus, la mère de la mère est au plus mal. On est plus proche d’un trépas annoncé que de la fête de la Nativité. D’autant que qui dit décès pense héritage. L’appât du gain exacerbe encore plus les dissensions. Les règlements de compte se multiplient. Ça tourne au jeu de massacre. Il n’y a plus une once de tendresse. C’est le désamour en héritage. Les mots sont féroces, perfides, cyniques. Lorsqu’on a un reproche (souvent très futile) à faire à quelqu’un, on le lui assène une première fois, puis on y revient, on touille, on avive la plaie. C’est insupportable pour la personne visée. On en arrive tout logiquement à un paroxysme d’agressivité. Cris, insultes, courses-poursuites, jets de projectiles… Tout est bon pour se comporter méchamment.


Et pourtant… Peut-être faut-il réussir à vider d’abord sa bile, son fiel, son aigreur pour nettoyer son cœur. Et, une fois qu’on y a fait place nette, on redécouvre ce diamant pur qu’est l’affection. Et puis surtout, peut-être faut-il en venir à la pire extrémité, au point de non-retour du désespoir pour réaliser combien on tient à ses proches. Au sens propre comme au figuré on peut dire que ça dépend d’un électrochoc.

C’est Noël tant pis est une pièce où un humour noir et grinçant mais jubilatoire règne en maître. Son thème va bien au-delà du conflit des générations. Il traite des rapports humains en général, mais dans cette cellule la plus réduite et la plus synthétisée qu’est la famille… Les dialogues les plus vachards et les situations les plus cataclysmiques sont servis par un quintette de comédiens absolument remarquables. Second degré, hypersensibilité, exaltation, ils savent tout faire passer. Sur le plan de la composition, c’est du très haut niveau. On hurle de rire et, à la seconde suivante, on est étreint par l’émotion. Bien sûr, il faut être ouvert et disponible pour goûter à sa juste valeur cette fable truculente et passionnée. Car le plat principal de ce Noël-là, c’est une dinde fourrée à l’explosif…

Gilbert « Critikator » Jouin

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