mercredi 20 janvier 2016

Ah ! Le grand homme

Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
Tel : 01 46 06 49 24
Métro : Anvers

Une pièce de Pierre et Simon Pradinas
Mise en scène par Panchika Velez
Décor de Claude Plet
Costumes de Marie-Christine Franc
Lumières de Didier Brun
Avec Yvan Le Bolloc’h (Benoît Tisserand), Jean-Jacques Vanier (René Coin), Jean-Luc Porraz (Gilbert Loiseau), Stéphan Wojtowicz (Michel Michel), Aurélien Chaussade (L’assistant), Jean-Pierre Malignon (Jacques Lourson), Serena Reinaldi (Alice)

L’histoire : Des comédiens, prêts à tout pour exercer leur métier, répondent à la convocation d’un metteur en scène fumeux. Leur mission : rendre hommage sur scène et le soir même, au grand Jean Vilar !
Les fantômes du Théâtre viennent fort heureusement voler à leur secours au terme d’une journée délirante…

Mon avis : A vrai dire, j’ai longtemps été partagé au fur et à mesure que se déroulaient devant moi les pathétiques et maladroites tentatives d’imaginer, de créer et de jouer une pièce en vingt-quatre heures d’une troupe de comédiens montée de bric et de broc par un metteur en scène qui ne sait pas lui-même où il va.
L’idée de départ est excellente. Les comédiens réunis sont tous parfaits… Pourtant, au fil des scènes, la mayonnaise a du mal à prendre et à monter. Trop d’huile et pas assez de vinaigre. Les dialogues, volontairement creux, truffés de lieux communs, finissent par lasser.
Bien sûr, cette pièce est annoncée comme étant une grande farce. C’est vrai, c’en est une. Mais elle a été écrite il y a 25 ans. Un quart de siècle ! Or, ce type d’humour, burlesque, parodique, déjanté, a considérablement évolué. Il s’est affiné, « anglosaxonnisé ». Là, pendant quasiment une heure, on nous propose un humour gentillet, qui sent encore la naphtaline et, surtout, terriblement potache. Je n’en pouvais plus de voir ces excellents comédiens réduits à pousser des cris d’animaux ou à s’agiter lamentablement dans une gestuelle grotesque. Nous sommes dans une cour de récré, c’est du grand n’importe quoi…


Pourtant – car il y a des pourtant -, dès son entrée en scène, Jean-Luc Porraz donne une véritable épaisseur à son personnage de metteur en scène aussi ringard et versatile qu’imbu de lui-même ; pourtant, Yvan Le Bolloc’h ne se départ pas de l’attitude hautaine et méprisante de son personnage starifié par une certaine notoriété et obséquieusement respecté, voire jalousé, par ses partenaires ; pourtant, Serena Reinaldi évolue comme une (jolie) sirène dans l’eau du second degré ; pourtant l’apparition soudaine de Stéphan Wojtowicz, en directeur-adjoint du théâtre jovial, hâbleur, dragueur se métamorphosant en acteur shakespearien aussi exalté qu’approximatif, nous offre un moment de bouffonnerie plutôt réussi ; pourtant, Jean-Pierre Malignon, sorte de Super Dupont franchouillard, est réellement désopilant.
Pourtant, à un moment, on est agréablement happé par un instant de grâce : j’ai trouvé très drôle ce tableau où notre brochette de comédiens approximatifs vient sur le devant de la scène pour se livrer devant nous à la fois à une sorte d’autocritique et à une énumération des vicissitudes du métier du comédien à grand renfort d’affirmations d’une extrême banalité. Cette scène-là, j’aurais presque aimé qu’elle durât un peu plus tant elle était savoureuse.
Hélas, le niveau retombe avec une scène de corrida si saugrenue qu’un couple de spectateurs en a profité pour s’éclipser…


Et puis, d’un seul coup, une espèce de magie opère. Cela coïncide avec le moment où notre affligeant metteur en scène a l’idée de génie de monter une adaptation du Cid. La pièce devient alors ce qu’elle aurait dû être depuis le début. Nous assistons alors à ce que la (bonne) loufoquerie peut apporter de plus magistral. Les comédiens y vont à fond. Jean-Jacques Vanier nous fait hurler de rire, Yvan Le Bolloc’h est impayable en Rodrigue impavide et hiératique, Serena Reinaldi campe une Chimène under control qui veut aller au bout de sa tirade en dépit des dérapages de ses partenaires… Et ça va être du même tonneau jusqu’à la fin avec, en prime, un clin d'oeil subliminal adressé à un Fantôme de l’Opéra qui aurait rencontré Regan, la gamine de L’Exorciste. On y est ! On nage en pleine folie, on rit de bon cœur. On termine sur une bonne note.

Cette formidable demi-heure à elle seule peut vous inciter à vous rendre au théâtre de l’Atelier. On peut certes reprocher aux auteurs de la pièce un manque de rigueur certain pour  deux premiers tiers dans lesquels ils sont restés dans la une facilité puérile. Il ne faudrait pas grand-chose pour que ce soit totalement réussi. Mais, ce qui vaut vraiment qu’on s’y déplace, c’est l’investissement total des sept comédiens. Ils sont tous absolument irréprochables.


Gilbert « Critikator » Jouin

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