mercredi 18 novembre 2015

Yves Jamait "Je me souviens..."

Disques Wagram
Sortie le 16 octobre 2015


Je tiens Yves Jamait pour un de nos tout meilleurs auteurs-compositeurs-interprètes de cette dernière décennie.
Il est à l’image de ces vins spécifiques issus de ce qu’on appelle les « vendanges tardives ». Leur définition s’applique parfaitement à son œuvre : « Ces raisins plus mûrs donnent des vins  riches en sucre et en alcool, aux goûts puissants, souvent moelleux… ». Vous substituez le mot « vins » par « chansons » et vous obtenez du Jamait tout cru. A l’instar de ses précédentes productions (cinq albums en dix ans), le millésime 2016 est encore d’une haute teneur et d’une belle tenue.

Yves Jamait est un chanteur de proximité. Il ne nous parle que de ces choses qui émaillent notre quotidien, de ces sentiments qui nous chatouillent la tête et nous gratouillent le cœur. Son écriture – remarquable – est imagée, simple tout en étant riche, concise, précise, sans fioritures tout en restant formidablement poétique. Le garçon en a sous la casquette ! A l’écoute de ses chansons, on sent que chaque mot a été choisi (élu ?) après mûre réflexion. Chaque texte est un jeu de mécano dont chaque pièce est un élément essentiel pour que l’édifice soit à la fois solide et esthétique. C’est fignolé, raboté, souligné, ciselé. C’est de l’artisanat, quoi, dans ce que ce terme a de plus noble.

N’ayant pas le livret à ma disposition, je n’ai pas pu disséquer les textes à l’envi comme j’en ai la maladive manie. Je me suis donc contenté d’écouter le CD promotionnel en en goûtant la substantifique moelle. Je me suis laissé porter par mes sensations… Aujourd’hui, après plusieurs écoutes, je me souviens que j’ai beaucoup, beaucoup aimé Je me souviens.


Bien qu’il s’en défende, j’ai trouvé son album empreint d’une belle nostalgie. Cinq titres au moins en sont totalement imprégnés : Le temps emporte tout, Je me souviens, Les poings de mon frère, Je ne reviendrai plus, Le bleu… Quant au facteur temps, il est quasiment omniprésent. Le temps dans toutes ses formes : passé, présent, avenir. Parfois même, comme dans Je ne reviendrai plus, il tourne à l’obsession. J’ai aimé aussi ce retour vers l’enfance (Le temps emporte tout, Les poings de mon frère) à la fois chargé de tendresse et d’amertume… Et lorsque j’ai essayé de synthétiser mon ressenti, les trois mots qui se sont immédiatement imposés à moi ont été « ode à la vie ».

Par ordre d’apparition, j’ai particulièrement été séduit, ému ou amusé par :
Le temps emporte tout. C’est un peu son Mistral gagnant à lui. Images sépia d’une enfance apparemment plus que modeste. La grosse gomme du temps qui efface tout, le constat véhément que « Tout fout l’ camp », le souvenir de révoltes velléitaires, mais un réaliste carpe diem en conclusion : « La vie, c’est maintenant ». Tout cela sur un arrangement très riche qui va crescendo.
Toi. Un bijou que je qualifie de reggae-tzigane. Quelle ambiance, quel débit, quel violon, quel solo de guitare ! Chanson ultra-positive sur les vertus curatives de l’amour. Cet amour sincère et franc qui vous redonne goût à la vie. Ça swingue grave et ça donne la pêche.
J’en veux encore. Hymne à la vie. Cri de colère et de résistance. Il faut profiter de chaque instant qui passe, siroter son verre jusqu’à la dernière goutte, jusqu’à plus soif, et renouveler son désir, muer son appétit en fringale et se nourrir du moindre témoignage d’amour et de ces beaux moments qu’offre la tendresse filiale.
Réalité. De nouveau ambiance reggae pour une chanson ironique et satirique de la téléréalité et plus particulièrement des télés crochets. Dénonciation malicieuse de ce leurre télévisuel où le candidat, manipulé, n’est qu’un jouet aux mains des productions audiovisuelles et des médias.
Salauds. Une de mes deux préférées avec Toi. Superbement écrit, ce texte déclinant toutes les variétés de « salauds » est réellement jouissif. Ils sont partout ! Et puis, quelle ambiance ! C’est une formidable chanson de fin qui se termine en fanfare avec un chant choral particulièrement festif et fédérateur. Comme Réalité, ce titre devrait prendre toute sa saveur sur scène car c’est une chanson de partage.


Là, ce ne sont que les chansons que j’ai subjectivement le plus appréciées. Car j’ai tout aimé. J’ai trouvé dans chaque chanson un motif (textuel, thématique ou musical) quelque chose qui excite mon intérêt :
La vacherie subliminale et implacable de Je me souviens (pratique la mémoire sélective) ; la remarquable écriture de J’ai appris avec ses variations sur les effets du temps ; la sensation de vide, de souffrance et de désolation de D’ici, qui m’a fait penser au Désert des Tartares de Dibo Buzzati ; l’hommage vibrant et la réhabilitation d’un instrument méprisé parce que populaire, l’Accordéon ; le joli climat plein de pudeur et de tendresse de cette déclaration d’amour qu’est Les poings de mon frère ; dans Je ne reviendrai plus, tout est dit en une seule phrase : « maintenant, je vis », oubliés les erreurs commises, les espoirs brisés, les remords, les mauvais choix et ne pas ressasser « ce qu’on a fait naguère » ; l’écriture subtile, saupoudrée de très bons jeux de mots phonétiques (« laissant l’autre et l’un seul ») et de double sens (« la dernière bière ») ; l’écriture encore, particulièrement raffinée de Le bleu, avec énumération de toute la palette de ce ton pour ne finalement la réduire qu’en ce vêtement symbole de la classe ouvrière, le bleu de travail, ce compagnon de toute une vie modeste.

Ajoutez, tout au long de cet album, des ambiances musicales très colorées et variées, arrangées avec un soin extrême et, enfin, une interprétation en tout point habitée et vous obtenez avec Je me souviens, un des plus beaux albums de la cuvée 2015. A déguster sans aucune modération.


Gilbert « Critikator » Jouin

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