mardi 1 juillet 2014

Les Nombrils

Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 41 30
Métro : Havre-Caumartin / Saint Augustin / Auber

Une comédie de Didier Caron
Mise en scène par Didier Caron
Décors de Nils Zachariasen
Costumes de Claire-Rose Daguerre
Lumières de Geneviève Soubirou
Avec Isabelle Feron (Nanette Leduc), Philippe Gruz, Bruno Paviot (Stanislas), François Raison (Brice Morin), Jane Resmond (Astrid), Christophe Rouzaud (Jean-Pierre Bramont)

L’histoire : Ils sont « La Compagnie de la Lune Pleureuse ». Ils interprètent Les Plaines de Kiev, une pièce russe d’un auteur dont on n’a jamais compris le travail ! Ces comédiens se prennent très, très au sérieux, alors qu’ils ne devraient pas ! Nous suivons leurs Nombrils dans des halls d’hôtels piteux au cours d’une tournée qu’aucun qualificatif ne saurait décrire…

Mon avis : Didier Caron est un artisan, un bon faiseur. Il a sa patte à lui. Toutes ses comédies sont concoctées avec des ingrédients immuables : beaucoup d’humain, une bonne dose de burlesque, une pincée de satire et, toujours, un zeste de tendresse. Il procède comme un peintre, à petites touches. Il ne cesse d’en rajouter jusqu’à ce qu’il ne reste aucun « blanc » sur sa toile. Et, là seulement, il est satisfait. Ses pièces sont un Vrai bonheur mais un faux Monde merveilleux car on butte systématiquement sur Un pavé sournoisement jeté dans la cour.
Les Nombrils n’échappent pas à cette règle. Il s’en prend cette fois à un monde qu’il connaît bien, celui des comédiens de théâtre. Avec un pinceau trempé dans du vinaigre (ce qui est adéquat lorsqu’on dépeint une poignée de cornichons), il décrit les tribulations d’une troupe de cinq comédiens absolument ringards, mais qui croient que le milieu du théâtre gravite autour de leurs « nombrils ». Le doute, ils ne connaissent pas !


Dans cette pièce, Didier Caron a établi une sorte de mouvement perpétuel. La trame repose sur un comique de répétition avec des situations qui sont toujours les mêmes (c’est le lot de toutes les troupes d’artiste), mais qui s’enrichissent régulièrement d’avatars. Si bien que l’on se met à attendre ce qui va pouvoir se passer dans la prochaine ville-étape. Comme, au fur et à mesure, on connaît de mieux nos cinq protagonistes, on suit, voire on précède, leur évolution. C’est un travail tout en finesse, une couche s’ajoutant à une autre sans effacer pourtant les précédentes. Et puis on se réjouit à l’avance de voir la prestation de Philippe Gruz, qui interprète à chaque fois le veilleur ou le gérant de l’hôtel de troisième ordre dans lequel les comédiens descendent. Ses compositions sont impayables et elles comptent pour beaucoup dans la drôlerie de la pièce. Ses accoutrements, ses travestissements, ses accents inhérents à la région dans laquelle l’établissement est situé (ch’ti, alsacien, corse, belge…) constituent un réjouissant gag récurrent.

Didier Caron excelle pour brosser les portraits. Le caractère de chacun de ses cinq « Nombrils » est parfaitement dessiné. Ce sont, chacun dans sa pathologie, des cas.

On ne se moque bien que de ce qu’on aime. Nanette Leduc (Isabelle Ferron) joue les divas. Convaincue qu’elle est sortie de la cuisse de Dionysos, le dieu grec du théâtre, elle s’arroge le droit d’être capricieuse, susceptible et fantasque… Jean-Pierre (Christophe Rouzaud), en vieux routard qui est revenu de tout sans être parti très loin, est un cumulard ; il est ronchon, aigri, alcoolique et obsédé sexuel… Astrid (Jane Resmond), est celle qui mérite le plus de circonstances atténuantes. C’est l’archétype de la nunuche. Elle est en permanence dans le premier degré, elle possède un langage bien à elle agrémenté de fautes de français et elle ne possède pas une once de méchanceté… Brice Morin (François Raison) et Stanislas (Bruno Paviot) sont vraiment les plus gratinés. Le premier, qui a la responsabilité de mettre en scène cette pièce aussi hermétique qu’affligeante, prend son rôle et ses responsabilités très, très au sérieux. Il utilise un langage pompeux et châtié, très vieille France. Il passe avec une insolente facilité de l’exaltation à l’abattement… Quant au second, il est, de loin, le plus caricatural. Stanislas est le fayot-étalon ; onctueux, précieux, complètement habité, fat car sûr de son pseudo talent, il est convaincu d’incarner le théâtre à lui tout seul. En même temps, c’est un gros bosseur qui ne vit que pour son art (on peut dire que ce "Nombril" a vraiment du coeur au ventre). Il en fait des caisses, il sur-joue, mais il est tellement sincère qu’il en deviendrait presque attachant…

Pour interpréter de tels ringards, il faut drôlement bien jouer. Et tous sont vraiment épatants.
Quant à Didier Caron, on ne peut penser une seule seconde qu’il é écrit cette pièce pour se moquer des comédiens. Au contraire. Il est parti de ce principe qu’on ne peut bien se moquer que de ce qu’on connaît bien et, surtout, de ce pourquoi on est passionné. Dans son regard amusé et critique, il y a énormément de tendresse.


Gilbert « Critikator » Jouin

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