vendredi 20 janvier 2012

Rose



La Pépinière Théâtre
7, rue Louis-le-Grand
75002 Paris
Tel : 01 42 61 44 16
Métro : Opéra

Une pièce de Martin Sherman
Traduite par Perrine Moran et Laurent Sillan
Mise en scène par Thierry Harcourt
Musique d’Eric Slabiak

L’histoire : Véritable épopée miniature, Rose nous entraîne de son Shtetl en Russie à Miami Beach, en passant par les années noires du ghetto de Varsovie, sa fuite à bord de l’Exodus, la création de l’état d’Israël, la réussite du rêve américain et le conflit actuel du Moyen-Orient. Le récit intime et plein d’humour d’une femme juive qui porte un regard affectueux mais lucide sur son peuple, un texte fort et terriblement ancré dans l’actualité qui dénonce les meurtres commis au nom de la Nation quelle qu’elle soit et refuse tout parti pris simpliste.

Mon avis : Que dire ?... On ne peut qu’être fasciné par cette destinée incroyable d’un romanesque fou. Rose est une anti-héroïne anonyme et, d’abord et surtout, une femme. Une femme qui a côtoyé le pire avant de connaître des meilleurs. Ce qui frappe dans le récit, scrupuleusement chronologique, que nous brosse une Judith Magre totalement incarnée en Rose, c’est le recul qu’elle y met.

Rose est née en 1920 en Russie (dans l’actuelle Ukraine) et elle va se retrouver mêlée malgré elle aux bouleversements que vont connaître l’Europe et le monde au milieu du 20è siècle. Rose est totalement banale. Rien ne la prédestinait à connaître un tel parcours plein de bruit et de fureur. Rien ne l’y avait préparée. Il faut l’écouter parler de ses parents et, partant, de son enfance. Elle y met une telle drôlerie ! D’ailleurs, tout du long du spectacle, pratiquement tout sera analysé à travers le prisme de l’humour. En dépit des tragédies qui vont jalonner son existence, elle garde une authentique distance. C’est vraisemblablement ce qui lui a permis inconsciemment de se protéger et de survivre. Car Rose est une survivante. Elle n’est en aucun cas une battante. Elle s’est comportée un peu comme un bouchon qui se laisse emporter par le torrent impétueux de l’horreur absolue et qui flotte jusqu’à atteindre des rivages plus accueillants. On a l’impression que son cerveau s’est mis de lui-même en veille, atténuant ainsi les terribles drames qui allaient la frapper. Du coup, sa description des événements est en permanence décalée. Elle ne sombre jamais dans le pathos ; et encore moins dans la haine. Elle constate, analyse et elle passe à autre chose. De toute façon, le courant l’emmène toujours ailleurs. C’est un bouchon, vous dis-je… Même ses amours, qu’elle décrit à la fois avec espièglerie et un réalisme cru, elle ne les a jamais choisies. Ce n’est guère que dans le dernier tiers de sa vie qu’elle va prendre son destin en main. Bien qu’elle semble toutefois s’excuser de réussir soudain en affaires et de connaître la réussite.

Rose est une vraie modeste. Elle ne réalise même pas quelle force de caractère elle a dû avoir pour s’en sortir. Tout en subissant les événements, elle n’a jamais été dupe de rien. Son sens critique ne l’a jamais abandonnée. Sa nature viscéralement moqueuse et irrespectueuse lui a permis d’échapper à tout fanatisme et à tout endoctrinement, faisant d’elle une femme libre. Libre malgré tout.

Pour nous présenter Rose et nous la faire aimer, il y a Judith Magre. Avec son jeu tout en finesse, son air mutin, elle nous embarque avec légèreté dans 80 ans d’histoire. Elle est magnifique. A 85 ans (elle en fait 30 de moins !), elle dégage un charme et un pouvoir de séduction invraisemblable. C’est une grande dame qui s’est mise au service d’un grand personnage pour nous offrir un grand moment de comédie.

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