vendredi 18 novembre 2011

Sunderland


Petit Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Métro : Trinité / Blanche / Saint-Lazare

Une pièce de Clément Koch
Mise en scène par Stéphane Hillel
Avec Elodie Navarre (Sally), Constance Dollé (Ruby), Léopoldine Serre (Jill), Vincent Deniard (Gaven), Vincent Németh (Paul), Thierry Desroses (Gordon), Bénédicte Dessombz (Mary Malwn), Pascale Mariani (Miss Gallagher)

L’histoire : Au nord de l’Angleterre, la pluie, la grippe aviaire, et les défaites de l’équipe de foot locale n’ont pas eu raison de la volonté de vivre de Sally. Pourtant, si dans quelques jours, elle ne trouve pas un travail, elle risque de perdre la garde de sa petite sœur, que certains seraient tentés de surnommer « la toquée ».
Alors, pour ne pas la renvoyer au Centre, elle est prête à tout, y compris à devenir une mère de passage et louer son utérus. Et c’est armée de sa meilleure amie, à l’esprit aussi vif que le flashy du vernis de ses ongles, qu’elle s’apprête à recevoir ce couple, certes peu conventionnel, qui peut changer sa vie…

Mon avis : Le Petit Théâtre de Paris a encore frappé ! Décidément, ils ont le chic pour programmer des pièces qui savent autant nous distraire que nous émouvoir et nous donner à réfléchir… Lorsqu’on se rencontre, entres critiques et/ou passionnés de théâtre, on se refile des tuyaux sur les spectacles à voir ou à éviter. La rentrée 2011/2012 a été tellement riche qu’on est bien obligé de faire des choix. Personnellement, j’avais dû faire l’impasse sur Sunderland, pièce à l’affiche depuis le 15 septembre. Mais quelques collègues et ami(e)s m’en ont dit tant de bien, certains allant même à assurer que c’était là LA pièce à voir, qu’au premier créneau de libre, j’ai sauté sur l’occasion. En arrivant rue Blanche, je suis tombé sur mon camarade Jean-Philippe Viaud, chroniqueur éminent et avisé à Télématin sur France 2, qui m’apprend qu’il vient voir cette pièce pour la deuxième fois ! C’est dire… La salle du Petit Théâtre de Paris était comble. Elle bruissait de cette ambiance engendrée spécifiquement par des spectateurs heureux de se trouver là. Patrice Leconte était discrètement installé au quatrième rang.

L’absence de rideau nous laissait le temps d’étudier le décor, une grande cuisine. Ce n’est pas le luxe, mais ce n’est pas non plus la misère. Côté cour, un large escalier mène aux chambres… La toute première scène, inattendue, déconcertante, crée presque une forme de malaise. Malaise vite dissipé par l’apparition de Ruby en haut des marches. En bas, face à un téléviseur allumé, se trouve Jill, une ado de 16 ans, qui parle toute seule en se balançant avec ce mouvement si particulier qu'adoptent les autistes. Puis on fait connaissance avec Gaven, géant débonnaire et serviable, qui doit vraisemblablement dormir avec le maillot rouge et blanc de son équipe de foot fétiche, celle bien sûr de Sunderland… D’ailleurs, dans cette ville portuaire du nord-est de l’Angleterre touchée par le chômage, tout gravite autour du foot. Les femmes elles-mêmes sont bien obligées de s’y intéresser. Mais si le ballon tourne plus ou moins rond, il n’en est pas de même pour Jill, sujette à des crises d’une violence inouïe dès qu’elle est contrariée ou de tétanie dès qu’elle est angoissée. Seule sa grande sœur, qui en a la garde, sait la calmer.
Cette grande sœur, c’est Sally. Elle est l’âme de la maison. Elle vient de perdre son emploi suite à l’épidémie de grippe aviaire qui a décimé tous les volatiles de l’usine pour laquelle elle travaillait. Il lui faut donc de toute urgence trouver de nouvelles ressources pour espérer continuer à garder Jill auprès d’elle. Le Centre d’éducation spécialisée d’où elle avait réussi à l’extraire, menace en effet de la reprendre à tout moment.
L’ambiance est tendue. Pas facile de trouver du boulot et de l’argent. Or, il y a cette foutue petite annonce qui lui tombe par hasard sous les yeux. En y répondant, ses problèmes seraient résolus. Seulement, personne autour d’elle n’est d’accord. Gaven le premier, qui est éperdument amoureux de celle qui fut sacrée « Miss Sunderland » à 17 ans. Quant à Ruby, que Sally a recueillie chez elle lorsque ses parents l’ont jetée dehors, elle voit d’un mauvais œil son amie se mettre une telle responsabilité sur le dos. Mais pour Jill, Sally est prête à tous les sacrifices...

Je m’interdis d’en dire plus. Cette pièce, il faut la vivre minute par minute. Elle est dure et drôle à la fois, jamais oppressante. Cela en grande partie grâce à des dialogues particulièrement aiguisés, grâce à la personnalité totalement extravertie de Ruby, fille délurée, au franc-parler redoutable, qui émaille ses propos de saillies tout-à-fait percutantes et assassines, grâce au jeu émouvant de Jill, grâce à la présence physiquement impressionnante de Gaven, brave type un peu frustre mais tellement plein de bonne volonté et, bien sûr grâce à Sally. Sally est une femme à la fois forte et fragile, c’est un cœur débordant d’altruisme et de générosité. Elle a les pieds sur terre. C’est une louve qui ne veut pas que l’on approche de sa petite…
Vous l’aurez compris, Sunderland est une pièce qui a la grâce, une belle histoire d’amour et d’amitié. Elle est portée par deux formidables personnages de femmes. Ce sont des gens simples, profondément humains et dotés d’un grand sens du partage. On y rit beaucoup alors qu’ils vivent un drame…

Autour des admirables Elodie Navarre et Constance Dollé, chacun joue sa partition avec une justesse et un talent épatants. Dans le rôle de Jill, la jeune Léopoldine Serre est touchante. Avec sa bonne bouille à fossettes, on a envie de la prendre dans ses bras et de la protéger… Geste que l’on n’oserait pas imaginer avec Vincent Deniard, montagne humaine qualifiée par les filles de « hooligan non violent ». C’est un gros nounours empêtré dans ses bons sentiments et qui ne sait comment exprimer sa passion amoureuse pour Sally. Il y a aussi Thierry Desroses et Vincent Németh, aux rôles si importants. Ils nous offrent chacun une composition savoureuse, drôle et émouvante… Pascale Mariani, qui joue l’assistance sociale envoyée par le Centre pour décider de la reprise ou non de Jill, est parfaite. Ni trop sensible, ni trop malveillante, elle n’a évidemment pas le rôle le plus positif de la pièce. Mais elle le tient fort bien… Et puis il y a Bénédicte Dessombz dont la présence amène une sorte de plus-value psychologique. Mais je ne veux pas entrer dans les détails sauf souligner qu’elle a un rôle essentiel et qu’elle le tient avec beaucoup d’allure et de vitalité.

Grande leçon de tolérance, Sunderland est vraiment une très, très belle pièce qui ne vous laissera pas insensibles. On en sort remué, les larmes aux yeux et, en même temps… avec un sourire grand comme ça. Quand je vous parlais l’autre jour de la loi des séries. Décidément, la magie du théâtre a l’heur de nous emporter parfois très haut. De telles pièces font du bien au cœur et à l’âme.

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