samedi 3 juillet 2010

Sacha le Magnifique


Théâtre de la Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une comédie causerie de Francis Huster
Mise en scène par Francis Huster
Avec Francis Huster, Lisa Masker, Elio Di Tania (piano)

Ma note : 8/10

Le propos : La vie de Sacha Guitry racontée par Francis Huster. Une rencontre prestigieuse ! Il le fait sous l’angle inattendu d’une conférence, comme celles qu’adorait donner Sacha Guitry. Il raconte sa vie irrésistible, ses passions, ses coups de gueule, son ascension foudroyante, ses triomphes inouïs, la gloire de Paris à New York d’un cancre devenu Maître.
Il évoque ses coups de sang, ses canulars, ses délires. Puis la guerre, l’ignominie, la prison, la chute, la déchéance et, pour finir, son incroyable revanche et son apothéose…

Mon avis : Lorsqu’on parle de Francis Huster et, a fortiori, quand on assiste à un de ses spectacles, il y a un néologisme qui s’impose : « hustérique ». En tout cas, c’est le mot idoine pour qualifier à la fois la prestation et le contenu de Sacha le Magnifique, causerie totalement débridée que nous offre ce démiurge. « Hustérique »… Mot hybride formé à partie de « hystérique » et de « historique ». Bien sur le premier est un tantinet excessif, mais il illustre assez bien la frénésie avec laquelle Huster s’empare et défend son héros. Quant à « historique », il définit parfaitement le contenu du propos en entremêlant continuellement la grande et la petite histoire sur lesquelles vient se greffer une histoire du théâtre sur près d’un siècle. Donc, en résumé, « hystérique » pour la forme, et « historique » pour le fond.

Dès le lever du rideau, la surprise est de taille car on découvre Francis Huster en train de se faire Maître. Un casque de cheveux argentés, de grosses lunettes rondes, très élégamment vêtu, l’auteur-acteur nous sort Guitry de la naphtaline. C’est le clone du spectacle. Enfin, un clone blanc qui ne se gênerait pas pour faire l’Auguste. Et voici notre Francis parti à fond dans la genèse de cette illustre famille qui a tant donné au théâtre. Tour à tour emphatique, véhément, anecdotique, truculent, docte, saupoudrant son récit de réflexions souvent piquantes sur l’actualité, Francis est branché sur le haut débit.
Huster est un cas vraiment à part dans notre panorama culturel. Il est tellement enthousiaste et volubile qu’il en agace beaucoup. Or, ce sont ces mêmes comportements qu’on lui reproche qui fascinent et emballent les autres. Pourtant, il y a un trait de caractère qu’on ne saurait lui contester, c’est « passionné ». Encore une fois – car ce n’est jamais simple avec ce diable d’homme – il faut accorder deux niveaux de lecture au mot « passion ». Il s’approprie en effet les deux significations du mot. Première définition : « Mouvement violent, impétueux, de l’être vers ce qu’il désire ; émotion puissante et continue qui domine la raison » (Petit Larousse)… Violent, impétueux, émouvant, déraisonnable, tous ces adjectifs conviennent à ce que Francis Huster nous jette en pâture… Et puis il y a le mot « passion » dans son sens christique. Le comédien apporte une dimension sacrificielle à son sujet. Il monte vers son Golgotha avec un plaisir exacerbé par un impérieux sentiment de justice. Huster sait qu’il va au supplice (souvent celui que lui inflige la critique) mais avec l’intime conviction que sa croisade pour sanctifier Sacha Guitry est noble et juste. Cœur croisé, il se fait l’avocat du Maître.

Après ça, on peut ratiociner à l’infini. On nage en plein dans le subjectif… A la sortie de Gaîté Montparnasse, les commentaires allaient évidemment bon train. Entre les pro et les anti. Certains ont franchement détesté et d’autres, dont je fais partie, ont été plutôt séduits par ce qu’ils venaient de voir et d’entendre. La vie de Sacha Guitry est passionnante. Comme celle de ces personnes que l’on peut qualifier de génies, elle est à la fois magistrale et tout simplement humaine. La différence, c’est que ce champion de la saillie savait d’un mot enjoliver et magnifier une situation à laquelle chacun de nous est régulièrement confronté, relation amicale, professionnelle ou amoureuse. Non seulement, ses fulgurances spirituelles sont de véritables perles, mais il avait en plus cette capacité d’y mettre un écrin autour. Chapeau, Maître ! Dans sa façon de traiter les rapports homme-femme, Guitry ne sera jamais démodé. Il restera même unique. Son sens de la formule ne peut être conservé dans le formol du temps. La preuve, on ne l’a jamais autant joué…

Mais revenons à notre mouton, notre mouton noir et blanc, Francis Huster. Outre la qualité incontestable de la relation historique qu’il nous livre de l’auteur de Mon père avait raison, de l’abondance d’anecdotes souvent savoureuses qu’il a lui-même recueillies auprès de personnes qui l’ont côtoyé, il y mêle habilement beaucoup d’autodérision. Il sait bien qu’il compte ses détracteurs. Alors il préfère tuer la médisance dans l’œuf en prenant les devants avec cette appréciation qu’il cite comme si on la lui avait adressée : « Vous occupez la scène comme des toilettes : pour vous soulager… » Et bien oui, il se soulage, Francis. Il élimine le trop-plein de ses colères, de ses révoltes, de ses indignations, mais aussi de ses excès, de ses partis-pris, de sa mauvaise foi, de ses adorations… Il n’est dupe de rien. Il s’en amuse, se fait narquois, s’auto-flagelle en ronronnant de plaisir et en nous prenant à témoin de sa félicité.
Il faut le prendre comme il est. Ou le laisser. Il n’est pas homme de compromis, de son robinet à paroles ne coule jamais d’eau tiède. Huster est un conteur extraordinaire, un flamboyant diseur. Et tant pis si parfois, il cabotine à l’envi. On est aussi venu un peu pour le voir dans ce numéro-là. C’est un torero, un numéro 10 qui préfère souvent sacrifier à la beauté du geste gratuit, plutôt qu’à la simple technique épurée. Entre El Cordobès et Zidane, il met du spectacle en tout, oubliant parfois qu’il incarne aussi le taureau lâché dans l’arène et voué aux piques et aux pires sévices. C’est vice et versa. Si versa m’était conté…

En conclusion, j’ai aimé ce spectacle. J’y ai appris beaucoup de choses, j’ai fait un joli voyage dans le passé, dans les pas d’un des plus brillants esprits du 20è siècle, Sacha Guitry. C’est riche, c’est foisonnant, très documenté, souvent drôle, parfois dramatique. Et Francis Huster y fait preuve d’une incommensurable générosité. C’est critiquable, ça ?

Aucun commentaire: