mercredi 17 mars 2010

Le temps de la kermesse est terminé


Un film de Frédéric Chignac
Avec Stéphane Guillon (Alex), Aïssa Maïga (Martina), Ali Monzanza (Mamadou), Malik Sall (Dogni), Eriq Ebouaney (Lieutenant Bado), Amara Conde (Le Banni), Thierno N’Diaye Doss (Le chef du village)…
Sortie le 17 mars

Ma note : 5,5/10

Synopsis : Alex ne devait rester que quelques minutes à Koupala, le temps de prendre de l’essence. Mais en panne de voiture, son séjour va être bien plus long que prévu…
Dans ce petit village perdu au milieu du désert africain où personne ne passe pour le secourir, Alex perd progressivement ses repères et ses certitudes de Blanc d’Afrique. Sans le savoir, il devient un enjeu vital pour le village…

Mon avis : En préambule dans le dossier de presse, Jean-François Lepetit, producteur du film, après avoir expliqué sa démarche, avoue sa lucide appréhension face aux difficultés « à faire exister » ce film « aux yeux du public ». Sachant cela, il n’en a donc eu que plus de courage à accepter de le produire. En effet, Le temps de la kermesse est terminé n’est pas un film facile. C’est le moins qu’on puisse dire.
Dès les premières images, le décor est planté : un paysage désespérément désertique composé uniquement de sable, de cailloux et de poussière. Et au milieu, un village ; un village construit de bric et de broc de part et d’autre de l’unique piste qui le traverse. Bonjour l’isolement, bonjour la solitude, bonjour le moral. Et un Blanc… Un Blanc prisonnier de ce village où il était venu faire le plein. Il n’a jamais pu redémarrer. Pendant qu’un quatuor de jeunes gens s’évertue sur ses ordres à pousser le véhicule en haut d’une pente dans l’espoir de le faire repartir quand il aura pris de la vitesse, Alex (Stéphane Guyon) tue le temps en faisant la navette entre son austère maisonnette et la seule épicerie-buvette.
Le visage buriné, le regard bleu un peu las, le ton juste, Stéphane Guyon est impeccable. Il est comme une mouche prise dans une toile d’araignée. Sa liberté de mouvement est très limitée. Il ne peut non plus espérer d’aide – et donc de salut – de la part du lieutenant qui dirige la petite caserne sise en hauteur à quelques encablures du village. Cette caserne est d’ailleurs un vrai paradoxe. Equipée d’une radio, elle constitue le seul lien vers l’extérieur mais, hélas, les civils n’y ont pas accès. A moins qu’en monnayant le service… Et encore. Et puis c’est aussi le seul endroit où l’on peut voir du vert car notre lieutenant d’apparence si rigide sur le règlement, consacre l’essentiel de son temps à entretenir un potager tout-à-fait inattendu dans ce paysage. Avec ce représentant de l’ordre, Alex est confronté aux complications inhérentes à l’administration et aux mentalités africaines.
En fait, ce sont deux cultures qui s’affrontent. Les Noirs ont le pouvoir, le Blanc a de l’argent. Mais la réalité n’est pas aussi simpliste que ça car il y a des choses que l’on ne peut quand même pas acheter.

La lenteur du temps qui passe est extrêmement bien rendue dans ce film. Elle est encore plus amplifiée par cette parabole du mythe de Sisyphe que représente la remontée de la voiture d’Alex en haut de la côte, sorte de mouvement perpétuel et démoralisant. On n’a aucun mal à se projeter dans la peau et dans la tête d’Alex. On s’y voit. Et on ferait exactement les mêmes choses que lui si l’on était à sa place. Enfin, surtout quand on est un garçon. Car il y a la présence de Martina (Aïssa Maïga). Elle est plutôt belle, involontairement sensuelle, et elle ne peut qu’attirer la convoitise de cet Européen qui s’efforce de meubler comme il peut son oisiveté forcée. Alex est dur, voire humiliant avec elle. Passive et résignée, elle ne voit en lui que l’échappée possible vers la France. Encore faut-il qu’il accepte de l’emmener si la voiture consent à redémarrer un jour…
Alex vit dans ce village une parenthèse immobile totalement kafkaïenne. Comme il n’y a pratiquement pas d’action, tout passe par les gestes, les attitudes et les expressions. Il faut que l’on puisse capter tout ce qui peut lui passer par la tête. Disons-le tout net, Stéphane Guillon réalise dans le rôle d’Alex une formidable performance d’acteur. Pour moi – et cela n’engage que moi – il y a du Jean Yanne chez Guillon. Il possède autant de talent à se faire aimer qu’à se faire détester. C’est l’apanage des plus grands. Guillon est mûr aujourd’hui (il a achevé de mûrir au soleil de l’Afrique). Le cinéma ne peut pas se passer d’un personnage aussi évident.
Le hic, c’est que, toujours à mon avis, trop peu de personnes n’auront l’occasion de le vérifier car ce film est tout sauf grand public. Et il risque de passer inaperçu.
Pourtant ce film contient une quantité de messages et il rend parfaitement les difficultés à intégrer une culture quand on en a reçu une autre. Il n’y a aucune complaisance et aucune concession. On nous raconte une histoire et on nous laisse libre d’en penser ce que l’on veut, d’adhérer ou de se ressentir parfois un certain malaise.
Mais, pour cela, il faut accepter l’aridité du décor, le rythme terriblement lent, l’éprouvante répétition des situations. On ne peut pas rester indifférent à ce film. A condition de vouloir aller le voir…

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