jeudi 22 février 2007

Le gardien


Théâtre de Paris
15, rue Blanche 75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité d'Estienne d'Orves

Une pièce de Harold Pinter
Avec Robert Hirsch, Samuel Labarthe, Cyrille Thouvenin

L'histoire : Après avoir porté secours à un vieil SDF (Robert Hirsch) qui venait de se faire virer manu militari du bistrot où il effectuait quelques tâches ménagères, un homme (Samuel Labarthe) le ramène chez lui, une sorte de loft-taudis, le temps qu'il se remette de ses émotions. Touché par le vieil homme, volubile et, au premier abord, désemparé, il lui propose charitablement de l'héberger. Comme s'il n'attendait que cela, notre clochard magnifique saute sur l'occasion. Evidemment, son vrai visage se fait bientôt jour. Il apparaît comme un être veule, curieux, profiteur, raciste. Son hôte, dont on découvre peu à peu derrière sa grande douceur qu'il a des problèmes psychiatriques, n'a de cesse que de lui faire plaisir... Une nuit, un jeune homme (Cyrille Touvenin) arrivé d'on ne sait où, agresse violemment le vieillard. Il lui déclare être le propriétaire des lieux et le frère de l'homme qui l'a accueilli chez eux. Dans un tel climat, comment ces trois marginaux vont-ils réussir à cohabiter ?
Mon avis : Déjà le décor ; qui est particulièrement réussi... bric-à-brac limite repoussant, il donne immédiatement le ton de la pièce : on est dans un univers glauque. On sait que les gens qui vivent là sont dans une extrême précarité. Les occupants des lieux s'en montrent pourtant fort satisfaits. Cette tanière, c'est tout ce qu'ils possèdent et ils en sont tellement fiers qu'ils nourrissent le désir d'engager un... gardien pour veiller sur leurs valeurs.
Ensuite, les personnages... Robert Hirsch, omniprésent sur la scène, est éblouissant de virtuosité et d'inventivité dans ce rôle complexe. Le Jenkins qu'il incarne est une sorte de clochard marginalisé depuis si longtemps qu'il s'est reconstruit un véritable amour propre et un vernis de dignité. Il possède tous les rudiments et tous les réflexes de survie en milieu hostile. Hâbleur, pipelette, mesquin, abominablement xénophobe, c'est un vieil emmerdeur insupportable. Et en même temps, le comédien réalise ce tour de force de nous le rendre parfois attachant. Robert Hirsch est est sans cesse en mouvement ; grimaces, gestes saccadés, il est obsédé par le petit confort que peut lui apporter le taudis des deux frères. Pour celà, il est prêt à toutes les turpitudes, toutes les bassesses. Il est absolument prodigieux ! Du grand art. Une prestation qui qui mérite ô combien un Molière.
Samuel Labarthe joue tout en nuances un être fragile, malade dans sa tête, nanti de quelques tocs. Il ne supporte pas la violence. les disputes lui donnent la migraine. C'est un vrai gentil.
Cyrille Thouvenin, lui, est un fauve. Il est excessif en tout ; autant dans dans ses nombreux accès de violence gratuite (quelle première scène !) que dans ses plages de diplomatie calculatrice. Il est complètement cyclothymique. Et puis, qu'est-ce qu'il se la pète dans son rôle de propriétaire.
Les relations entre ces trois paumés, ces trois écorchés de la vie, sont évidemment très terre-à-terre. Leurs conversations sont banales de platitude. c'est un monde où le poindre marchandage prend des proportions considérables. Le pire, c'est que l'on sent qu'ils ont besoin des uns et des autres pour exister, autant pour se rassurer que pour avoir quelqu'un sur qui déverser ses angoisses. En fait, les deux frères s'inventent des vies, des projets, des métiers. Seul Jenkins est à fond dans le concret, dans la préservation animale de son existence.
En conclusion, Le gardien est une pièce sombre, éprouvante. Il ne faut pas être trop fatigué par sa journée de travail car il y a quelques longueurs durant lesquelles l'action tourne un peu en rond. On pense qu'elle étaient nécessaires à l'auteur, Harold Pinter, pour dessiner encore plus précisément les profils comportementaux et les ressorts psychologiques de ses personnages. Mais on oublie vite ces quelques désagréments pour ne conserver en mémoire que la performance exceptionnelle de Robert Hirsch. Rien que pour lui, ça vaut la peine de se rendre au théâtre de Paris car on y assiste à un sommet de comédie pure.

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